Certaines statues sont plus vivantes que les statues vivantes, y en qui pleurent, d'autres qui sourient.
Certaines explosent.
Trop tard comme toujours.
Cela me rappelle l'histoire de ce type dont j'ai perdu le nom.
Je vais l'appeler Jean Bien, c'était un type bien, rien de
spectaculaire dans sa bienfaisance, il donnait un peu à son prochain,
parfois à sa prochaine, puis recommençait la semaine suivante.
C'était surtout un type qui ne disait rien, de méchant ou de gentil. Juste rien. Quand son boss l'houspillait, rien. Quand sa douce le cajolait rien. Quand une douce professionnelle l'aspirait, rien.
Dans son lui dormait un petit feu de glace. À chaque fois qu'il retenait sa colère ou ses sentiments, il l'attisait un peu plus. Et il se retenait beaucoup.
J'ignore s'il aimait sa vie, en tout cas, il la vivait à défaut de mieux. Étrange, il passait au-dessus de sa vie, c'est peut-être cela qu'on appelle « survivre ».
Je m'égare...
Notre Jean Bien était blanc de peau, blanc de nuit, noir d'ennui, noir dedans. Déjà rongé par le mal commun de la dépression, il fut touché par une maladie encore plus charmante.
Tout commença par une tache sur le cœur. Rien de métaphorique cette fois, il avait une vraie tache noir sur la poitrine. Une tache sombre, dure, froide. De la matière dont on fait les miroirs pour aveugles. Aveugle, il ne l'était pas, la tache, il la voyait. Dans le shaker qu'était son crâne, angoisses doutes craintes colères et peur de la mort formaient un délicieux cocktail. Un tord-boyaux putride. Il avait peur. Il avait honte.
Il alla voir un médecin. Ce dernier lui jargonna des mots à peine compréhensibles, lui parlant de « cas clinique inhabituel ». Jean Bien cessa de l'écouter, car il ne vit nulle compassion derrière les verres fumés du soignant. Il cessa de voir le médecin et ne parla de sa tâche à personne.
Dés cet instant, la petite tâche noire commença à s'étendre.
Doucement.
Inexorablement.
Le banal des mortels craint la maladie à cause des souffrances qu'elle promet. Celle de Jean Bien l'en débarrassait. À mesure que la pierre s'étalait il ressentait de moins en moins son corps. Cette bénédiction du diable lui offrait un peu de repos, il souffrait moins. Mais il avait honte de cette maladie, honte de l'accueillir et de se complaire dedans. Progressivement, il rompit tous contactes avec ses proches.
Il se durcissait. De corps comme d'esprit. Men sana in corpore sano pas vrai ? La réciproque est vraie aussi.
Inexorablement, doucement, le mal de pierre noire s'empara de son corps. D'abord ses bras, l'obligeant à porter gants et manches longues. Ensuite, les jambes, rendant la marche difficile, aussi, il restait cloîtré chez lui. Et puis vint la tête, soudant ses lèvres sous la roche, lui interdisant toutes phrases...
La
dernière fois que Jean Bien se regarda dans la glace, il n'y trouva pas
son reflet, mais l'image sèche d'une statue de bronze, un homme froid,
ayant durci pour ne plus souffrir.
Pourtant, à l'intérieur, un feu de glace brûlait toujours.
Ces coups de gueule qu'il n'avait jamais poussés, ces déclarations
qu'il n'avait jamais faites, et qu'il ne pouvait désormais plus faire.
Ne restait plus qu'un brasier de regrets le consumant de l'intérieur tandis que sa surface était aussi glaciale qu'impénétrable.
Alors Jean Bien prit une dernière décision. Il alla s'asseoir dans un parc et attendit que le mal de pierre achève de le transformer en statue.
Il disparut sous la roche froide.
Le brasier brûlait toujours.
On l'oublia.
Un jour.
La statue explosa.
Le coffre d’Ilnuaj Dragglen est une arche de contes et de poèmes qui ont coulé de mes doigts. Vous y trouverez divers animaux littéraires ainsi que quelques nouvelles sur votre serviteur/conteur. Je vous souhaite une agréable lecture.
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