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dimanche 15 juillet 2018

Les accords du pédants




Sur la place du village de Petitfort trônaient trois édifices, une vieille fontaine, une vieille église et un vieux guitariste.

Ce guitariste se nommait Gondaj, il faisait de petits accords contre de petites pièces. Il était là depuis si longtemps que les villageois ne l'entendaient même plus, à l'exception du jeune Jérémie, une petite tête blonde qui donnait toujours la monnaie de son pain à Gondaj. Il trouvait que cela faisait gai un petit air de musique dans ce village où tout le monde était si taiseux.

  En revanche, le maire de Petitfort n'était pas de cet avis. « Ce romanichel ternit l'image de notre belle place, avec ses vilaines ritournelles » maugréait-il.
Il faut dire que M. Le maire était un grand mélomane, la preuve, il avait un beau piano chez lui, certes il ne savait pas en jouer, mais c'était un beau piano. Aussi, il lui aurait bien botté l'arrière-train à ce Gondaj, mais il savait qu'un botage intempestif était une démarche contre-électorale. Toutefois, la parole de l'homme politique fut rattrapée par la colère de l'homme tout court.
  
  À la six-cents quatre-vingts troisième reprise de Bella ciao, il décida d'aller jouer les chefs d'orchestre auprès de Gondaj.
« Elles me font friser les sourcils vos mélodies, et vous saccagez le beau silence de cette place millénaire, alors vous allez gratter du manche ailleurs que dans ma ville. »
Habitué aux coups de sang du sanguin maire, Gondaj ne répondit pas, et attendit patiemment que la colère rouge palisse. C'est le petit Jérémie qui décida de prendre la toge de l'avocat.
« Mais monsieur elle est jolie la musique de M. Gondaj, et puis elle est pas millénaire la place, elle est centenaire ».
L'orgueil piétiné par les petits petons du petit pou, M. le maire devint tout rouge et envoya sa main claquer sur la joue de Jérémie.
L'œil noir, Gondaj s'éclaircit la voix. 
- Vous n'aimez pas mes chansons, M. le maire, mais j'en connais d'autres qui vont vous faire danser.
Du bout des doigts, il entama une drôle de partition. Des accords biscornus, à la fois entrainants et dérangeants.
-Voici les accords du chapeau
Et le chapeau du maire décolla de sa tête pour faire d'harmonieux loopings.
- Les accords de la chemise
Comme possédée par le diable, la chemise du maire s'extirpa de son hôte pour se dandiner sur la place.
-Les accords du pantalon.
Ce fut au tour du pantalon de M. le maire d'aller faire la gigue avec les autres vêtements.
-Les accords des sous-vêtements.
Qui fut suivit de grands éclats de rire des habitants qui se pressaient pour voir le spectacle.
-Et les plus beaux, les accords du pédant.
Nu comme en ver à soie, le maire entama une danse grotesque qui dura, et dura, et dura...

.... Jusqu'à la tombée de la nuit.

Quand Gondaj ramassa son chapeau débordant de pièce, le petit Jérémie lui demanda.
-Mais monsieur, pourquoi vous n'utilisez pas vos pouvoirs magiques tout le temps ? Les gens vous donneraient beaucoup de pièces.
-Parce qu'ils n'écouteraient plus la musique.

Et Gondaj ne revint plus jamais jouer sur la place du village.

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